Rétablissement et résolution des assurances : les spécificités du cadre français existant face aux nouvelles exigences européennes

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Guillaume Fort

Counsel
France

Je suis avocat au sein du département Banking & Finance à Paris et à Bruxelles et conseille principalement les entreprises de la Tech et les acteurs du monde de l'assurance sur leurs problématiques réglementaires et prudentielles.

Adoptée le 27 novembre 2024 par le parlement européen et le conseil et publiée au jour de l’Union européenne le 8 janvier 2025, la directive sur le rétablissement et la résolution des assurances (Insurance Recovery and Resolution Directive – IRRD) vise à instaurer un dispositif harmonisé à l’échelle de l’Union européenne. 

En France, un régime interne spécifique issu de l’ordonnance n° 2017-1608 du 27 novembre 2017 pris en application de la Loi Sapin II précède l’adoption du texte européen. Les deux textes poursuivent un objectif commun de prévention et de gestion ordonnée des défaillances d’assureurs importants, mais ils se distinguent par leur champ d’application, leur origine normative et certains aspects pratiques de mise en œuvre.

L’origine et la portée

  • Le régime français couvre tous les organismes d’assurance et de réassurance soumis à la directive Solvabilité II, avec un volet préventif et un volet curatif :

- Volet préventif : rédaction de plans préventifs de rétablissement (par l’assureur) et de plans préventifs de résolution (par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution – ACPR) pour les organismes dont le total d’actifs dépasse 50 milliards d’euros (ou, au cas par cas, pour ceux jugés critiques).

- Volet curatif : pouvoir de mise en résolution lorsque l’organisme est défaillant ou proche de l’être et existence de divers outils (par exemple, transfert de portefeuille, restriction d’activité, nomination d’un administrateur de résolution, etc.).

  • IRRD : droit dérivé de l’Union européenne, destiné à harmoniser les pratiques dans tous les pays membres et s’inspirant, dans son esprit, de la directive sur le rétablissement et la résolution des banques (Banking recovery and resolution directive – BRRD). Le texte couvre également tous les organismes d’assurance et de réassurance soumis à la directive Solvabilité II, et s’étend également aux succursales de pays tiers qui ne sont pas mentionnées dans l’ordonnance française.

Les modalités de résolution et le rôle européen

  • En France, l’ACPR (via son Collège de résolution) est seule compétente pour exécuter les mesures de résolution, selon les pouvoirs prévus par l’ordonnance de 2017 (par exemple un transfert global de portefeuille).
  • Au niveau de l’IRRD, même s’il n’était pas envisagé de créer une « autorité unique » à l’image du Conseil de résolution unique bancaire, les autorités de résolution au niveau du groupe et les autorités de résolution des entreprises filiales devront coopérer pour parvenir à des décisions communes. L'IRRD prévoit également la création de collèges d'autorités de résolution pour assurer la coopération et la coordination avec les autorités de résolution de pays tiers.

Les obligations en matière de plans préventifs

  • Sous le régime français, seule une partie des organismes (ceux dépassant 50 milliards d’euros d’actifs, ou jugés critiques) doit établir et mettre à jour ces plans.
  • L’IRRD, de son côté, pourrait imposer des plans de rétablissement plus largement, même pour des assureurs d’une taille inférieurs. En effet, le régime européen impose des exigences de planification préventive du redressement pour au moins 60% du marché de l'assurance et de la réassurance vie et non-vie. Les entreprises de petite taille et non complexes ne sont pas soumises à ces exigences, sauf si elles représentent un risque particulier.

Conditions d’ouverture d’une procédure de résolution

Les deux régimes spécifient des conditions très semblables pour initier des procédures de résolution pour les compagnies d'assurance, mais avec quelques différences de détail et de structure. De manière générale, l’ouverture d’une procédure de résolution suppose : 

  • L'échec de l'entreprise d'assurance ou de réassurance déterminé comme prouvé ou probable par l'autorité de supervision ou de résolution.
  • Cet échec ne peut être évité dans un délai raisonnable par d'autres moyens que des mesures de résolution.
  • Une mesure de résolution est nécessaire dans l'intérêt public.

Cependant, la directive fournit des critères plus détaillés pour déterminer quand une entreprise d'assurance ou de réassurance est considérée comme en échec ou susceptible d'échouer, y compris :

  • le non-respect de l'exigence de capital minimum ;
  • le fait de ne plus remplir les conditions d'autorisation ;
  • des actifs inférieurs aux passifs ;
  • une incapacité à payer des dettes ou d'autres obligations à leur échéance ; et
  • un soutien financier public extraordinaire (c’est-à-dire exceptionnel) requis pour éviter la défaillance.

La directive précise également le critère de "l'intérêt public", en estimant qu'une action de résolution est dans l'intérêt public si elle est nécessaire pour atteindre un ou plusieurs objectifs de résolution et est proportionnée à ceux-ci, tandis que la liquidation de l'entreprise dans le cadre de procédures normales d'insolvabilité ne répondrait pas à ces objectifs dans la même mesure.

Les outils de résolution

Les mesures de résolution similaires sont globalement similaires entre les deux textes, avec quelques différences de détail et de portée :

1. Transfert d'actifs et de passifs : Si les deux régimes permettent le transfert d'actifs, de droits et d'obligations à une autre entité ou à une institution de transition, la directive fournit plus de détails sur les conditions et le processus de tels transferts.

2. Création d'une institution de transition : mesure identique permettant la création d'une institution de transition temporaire pour recevoir les actifs et passifs transférés.

3. Séparation des actifs : la directive mentionne explicitement la séparation des actifs et des passifs des portefeuilles sous-performants, ce qui n'est pas mentionné directement dans l'ordonnance française.

4. Amortissement et conversion des instruments de capital (bail-in) : la directive inclut le pouvoir de déprécier ou de convertir des instruments de capital et d'autres passifs éligibles, ce que ne permet pas l'ordonnance française.

5. Nommer un gestionnaire spécial : l'ordonnance française permet la suspension ou le licenciement des instances dirigeants, tandis que la directive de l'UE mentionne le pouvoir de remplacer la direction de manière plus large.

6. Suspension des obligations de paiement et de livraison : la mesure apparait identique sous les deux régimes.

7. Restrictions sur les activités commerciales : à nouveau, les deux régimes permettent de limiter ou d'interdire certaines activités.

8. Exigences d'information : Les deux textes habilitent les autorités à exiger des informations supplémentaires de l'institution.

9. Modification des termes contractuels : La directive mentionne explicitement le pouvoir de modifier les termes contractuels, ce qui n'est pas directement abordé dans l'ordonnance française.

10. Coopération transfrontalière : La directive met davantage l'accent sur la coopération transfrontalière et la reconnaissance des actions de résolution.

Au vu des différences susmentionnées, il est raisonnable de penser que le dispositif français sera à terme adapté pour se conformer aux exigences de la directive IRRD une fois celle-ci transposée au plus tard le 29 janvier 2027.

Points de vue

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