Lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) - Rétrospective de l’année 2024 - Partie 3

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xavier philipps Module
Xavier Philipps

Counsel
France

J'accompagne mes clients sur l'ensemble du spectre du droit pénal des affaires et les aide à résoudre les questions traditionnelles de la criminalité en col blanc avec un attrait particulier pour les problématiques financières complexes et la pénalisation de l'univers numérique.

Siham Ouadhi

Associate
France

Avocate au Barreau de Paris, je suis collaboratrice au sein du groupe Dispute Resolution et de l'équipe Droit pénal des affaires.

L’année 2024 aura été riche en développements dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT).

Avec l’un des dispositifs les plus robustes et efficaces au monde1, la France poursuit son engagement et s’applique à préserver l’intégrité de son système financier et renforcer l’efficacité de son arsenal de LCB-FT. L’évolution des méthodes de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme (BC-FT) utilisées par les criminels et l’émergence de nouveaux modes opératoires appellent une adaptation continue du cadre législatif et réglementaire.

Retour sur un an de LCB-FT – une rétrospective en 3 volets :

1 - Les nouvelles dispositions et orientations en matière de LCB-FT nées en 2024, au niveau européen et au niveau national
2 - Un an de mise en œuvre des dispositions LCB-FT par les autorités judiciaires et réglementaires
3 - Les cryptoactifs, le nouveau hot-topic LCB-FT

 

Partie 3 : Les cryptoactifs, nouveau hot topic LCB-FT

Le développement exponentiel du marché des crypto-actifs et leur généralisation en tant que mode de paiement et d’investissement a parallèlement a décuplé les risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme.

Instruments d’échange privilégiés dans le monde numérique, les actifs numériques sont susceptibles d’être détournés et utilisés à ces fins de BC-FT. L’exposition à la menace est d’autant plus grande du fait du caractère transnational et quasi-immédiat des transactions, de l’opacité des canaux d’échanges et du volume de valeurs transférable.

A l’instar des dernières années, 2024 a ainsi été marqué par la poursuite des efforts dans l’encadrement du secteur des crypto-actifs dans la LCB-FT.

1. Renforcement du cadre législatif et réglementaire

1.1 Au niveau européen : extension du périmètre des entités assujettis

Dans le cadre de l’adoption par l’Union européenne du « paquet LCB-FT », le Règlement (UE) 2024/1624 (« AMLR6 »), qui vise pour la première fois dans l’ensemble de l’Union, à harmoniser les règles en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, soumet à compter du 10 juillet 2027 de nouveaux assujettis aux règles LCB-FT. Les règles de lutte contre le blanchiment de capitaux seront étendues à de nouvelles entités, notamment les prestataires de services sur cryptoactifs (PSCA) – étant rappelé que le législateur français avait été un des premiers, dans le cadre de la loi PACTE en 2019, à réglementer l’usage des cryptoactifs en créant le statut de prestataire de services sur actifs numériques (« PSAN ») et en les assujettissant aux règles de LCB-FT.

1.2 Au niveau national : régulation des cryptoactifs

Quatre textes sont venus, en fin d’année 2024, clarifier la réglementation de l’écosystème des cryptoactifs en France.

D’abord, l’ordonnance n° 2024-936 du 15 octobre 2024 a aligné le droit national avec le règlement MICA qui vise à harmoniser le cadre réglementaire européen des cryptoactifs et à protéger les citoyens européens en matière de de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT). Entrée en vigueur le 30 décembre 2024, elle a notamment adapté les dispositions du code monétaire et financier pour mettre le droit français en cohérence avec le droit européen, clarifié la répartition des compétences entre l’AMF et l’ACPR pour la supervision des prestataires de services sur cryptoactifs et encadré la période de transition du régime national des PSANs (Prestataires de Services sur Actifs Numériques) vers le régime PSCA (Prestataires de Services sur Crypto-Actifs) de MICA1.

Ensuite, l’ordonnance n°2024-937 du 15 octobre 2024 a adapté la réglementation française aux exigences du règlement TFR qui renforce les mesures de vigilance applicables en matière de cryptoactifs. La liste des entités soumises à la LCB-FT et les régimes applicables ont été élargis pour inclure en plus des PSAN, les PSCA.

Ces deux ordonnances sont complétées de deux décrets des 23  et 28  décembre 2024, qui opèrent notamment les ajustements nécessaires aux dispositions réglementaires applicables du code monétaire et financier pour intégrer les cryptoactifs dans les obligations de vigilance et de documentation, prévoient pour les PSCA la mise en œuvre de mesures de vigilance complémentaires, telles que la vérification de l’identité des initiateurs ou bénéficiaires de transferts de cryptoactifs, et ajoutent les jetons de monnaie électronique (e-money tokens ou EMT) ainsi que les opérations portant sur ces produits à la liste des opérations ou produits présentant un risque particulier de BC-FT.

2. Soft law :  prises de positions de l'ABE

L’Autorité bancaire européenne (ou European Banking Authority, « EBA ») a étendu le champ d’application de ses lignes directrices sur les facteurs de risque de BC-FT2 aux PSCA3 . Les nouvelles orientations mettent en évidence les facteurs de risques et les mesures d’atténuation que les PSCA doivent prendre en compte dans leur lutte contre la criminalité financière, et comprennent également des orientations adressées à d’autres établissements de crédit et institutions financières qui comptent des PSCA parmi leurs clients ou qui sont exposés aux cryptoactifs4.

L’ABE a par ailleurs publié de nouvelles orientations sur les exigences en matière d’information concernant les transferts de cryptoactifs au titre du règlement (UE) 2023/11135 . Ces orientations précisent notamment les informations devant accompagner les transferts de cryptoactifs, les étapes que les PSCA doivent suivre pour détecter les informations manquantes ou incomplètes ainsi que les mesures à prendre pour gérer le risque de BC-FT lorsqu’un transfert de cryptoactifs ne contient pas les informations requises.

-oOo-

Que les acteurs de l’écosystème bancaire et financier doivent-ils attendre de l’année 2025 de la part des autorités de lutte contre le blanchiment ? Le récent communiqué de presse de Madame le procureur de la République de Paris nous semble parfaitement résumer la tendance qui se dessine : une information judiciaire a été ouverte sur les infractions de blanchiment aggravé, blanchiment de fraude fiscale, blanchiment en lien avec un trafic de produit stupéfiant et exercice illégal de la profession de prestataire de service sur actifs numériques susceptibles d’être reprochées à une plateforme d’échange en cryptoactifs d’envergure internationale. Les faits visés, constitutifs de manquement de la plateforme à ses obligations de vigilance dans le cadre de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, auraient été commis en France mais aussi de manière indivisible dans tous les pays de l’Union Européenne, laissant envisager une intense coopération européenne, voire internationale. L’enquête a été confiée à plusieurs services dont l’ONAF. La question de l’enregistrement de la plateforme en cause auprès de l’Autorité des Marchés Financiers est également en cause.

Si des questions persistaient sur le point de savoir à quelle vitesse les dernières évolutions du régime répressif de la lutte anti-blanchiment allaient être mises en œuvre, cette seule affaire, à suivre, les balayent : la vigilance est, toujours plus, de mise.

____________

[1]  Les PSANs enregistrés en France avant le 30 décembre 2024 bénéficieront d’une période de 18 mois pour se mettre en conformité, la période de transition prenant fin le 1er juillet 2026.

[2] EBA/GL/2021/02

[3] EBA/GL/2024/01

[4] EBA, Communiqué de presse 16 janvier 2024 “EBA issues guidance to crypto-asset service providers to effectively manage their exposure to ML/TF risks”

[5] EBA/GL/2024/01

 

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