L’année 2024 aura été riche en développements dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT).
Avec l’un des dispositifs les plus robustes et efficaces au monde1, la France poursuit son engagement et s’applique à préserver l’intégrité de son système financier et renforcer l’efficacité de son arsenal de LCB-FT. L’évolution des méthodes de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme (BC-FT) utilisées par les criminels et l’émergence de nouveaux modes opératoires appellent une adaptation continue du cadre législatif et réglementaire.
Retour sur un an de LCB-FT – une rétrospective en 3 volets :
Le Règlement (UE) 2024/1624 (« AMLR6 ») est relatif à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme. Il vise à parfaire l’harmonisation des règles en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux avec une applicabilité directe. Directement applicable à compter du 10 juillet 2027, il opère des modifications sensibles du paysage LCB-FT européen notamment en soumettant de nouveaux assujettis au règles LCB-FT5, en renforçant les obligations de collecte et de vigilance applicables aux entités supervisées6, en fixant un plafond aux versements en espèces au sein de l’UE7 ou encore en renforçant le dispositif d’identification du bénéficiaire économique effectif.
Le Règlement (UE) 2024/1620 institue une nouvelle Autorité européenne de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (ALBC), l’« AMLA » (Anti-Money Laundering Authority), chargée de contribuer, à l’échelle européenne, à la mise en œuvre de règles harmonisées dans la LCB-FT. Organisme de l’Union doté de la personnalité juridique, l’autorité siégera à Francfort et devrait être opérationnelle dès juillet 2025. Désignée comme la pièce maîtresse de la réforme du cadre européen de lutte contre le blanchiment, elle disposera de pouvoirs de surveillance directe et indirecte sur les entités assujetties à haut risque du secteur financier. Elle jouera également un rôle de soutien en ce qui concerne le secteur non financier, et coordonnera les actions des CRF des Etats membres. En cas de manquements, elle pourra imposer aux entités assujetties sélectionnées des mesures administratives et des sanctions pécuniaires ou astreintes sur la base des résultats des contrôles effectués9.
Le décret n° 2024-600 du 26 juin 2024 a précisé les modalités d’application de la nouvelle obligation de déclaration à l’administration fiscale, incombant aux personnes assujetties au dispositif de LCB-FT et à leurs autorités de contrôle, des divergences entre les informations qu’elles détiennent sur les trusts et les fiducies, ainsi que leur traitement par l’administration fiscale. Le mécanisme de signalement avait été instauré par l’ordonnance n° 2020-115 du 12 février 2020 à l’article L. 102 AH du Livre des procédures fiscales (LPF) dans le cadre de la directive (UE) 2018/843 du 30 mai 2018 (« 5e directive anti-blanchiment »).
Par ailleurs, dans la lignée de la 6e directive anti-blanchiment, la France a mis en place un système de filtrage de l’accès aux personnes souhaitant accéder au registre des bénéficiaires effectifs. Depuis le 31 juillet 2024, toute personne souhaitant accéder au registre doit ainsi justifier d’un intérêt légitime et en formuler la demande via un formulaire disponible sur le site de l’INPI, en l’accompagnant des justificatifs pertinents. Les autorités de contrôle et les personnes assujetties aux obligations de vigilance au sens de l’article L. 561-2 du Code monétaire et financier conservent quant à elles un accès complet. Cette évolution fait notamment suite à l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 22 novembre 2022 qui, au nom de la protection des données à caractère personnel, appelait à un filtrage de l’accès aux informations renseignées concernant les bénéficiaires effectifs.
Quatre textes sont par ailleurs venus, en fin d’année 2024, clarifier la réglementation de l’écosystème des cryptoactifs en France ; ils feront l’objet d’une étude approfondie dans un article spécifique.
Actions de sensibilisation et échanges avec les professionnels LCB-FT. – En 2024, de nombreuses actions de communication et de sensibilisation ont été menées pour accroître la sensibilisation et le dialogue avec les professionnels des secteurs à risque, en ligne avec les objectifs affichés par le gouvernement à l’occasion du plan d’action 2021-2022 contre le BC-FT. L’ACPR a détaillé le 31 janvier les modalités des nouveaux questionnaires sur la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme (QLB), visant à obtenir une autoévaluation plus précise des entités assujetties. L’AMF a tenu le 25 mars 2024 la 24è Journée de formation des RCCI (responsables de la conformité et du contrôle interne) et des RCSI (responsables de la conformité et des services d’investissement) afin de les sensibiliser aux nouveaux textes réglementaires et approfondir leurs connaissances. En juin, plus de 200 référents en saisies et confiscations se sont réunis lors d’un séminaire organisé par la Direction des Affaires Criminelles et des Grâces (DACG) et l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) pour échanger sur ces sujets. Le 4 juillet, l’ACPR a organisé une conférence dédiée à la LCB-FT, centrée sur la mise en place du nouveau cadre européen de lutte contre le blanchiment, notamment la nouvelle AMLA. Le forum organisé par Tracfin le 10 décembre 2024 a rassemblé plus de 400 professionnels pour discuter du rôle du renseignement financier dans la lutte contre les flux illicites.
[2] Les États membres doivent fournir un accès aux informations provenant de registres centralisés des comptes bancaires via un point d’accès unique, assurant une interconnexion à l’échelle de l’UE pour un accès transfrontalier rapide par les Cellules de Renseignement Financier (CRF).
[3] La directive impose aux États membres de collecter et conserver les informations sur les bénéficiaires effectifs dans un registre central, accessible aux autorités judiciaires et fiscales, à l’AMLA, au Parquet européen, et à d’autres parties ayant un intérêt légitime dans la lutte contre le blanchiment. Les entités gérant les registres seront par ailleurs habilitées à effectuer des inspections dans les locaux des entités enregistrées en cas de doute sur l’exactitude des informations déclarées.
[4] La directive établit notamment un cadre juridique visant à structurer les collèges de supervision LCB-FT, qui fonctionnaient depuis la 5e directive anti-blanchiment (AMLD5) sur la base d’orientations non contraignantes.
[5] Tels que les négociants de produits de luxe tels que les métaux précieux et pierres précieuses, les bijoutiers ou orfèvres, les concessionnaires de biens de locomotion de luxe et les clubs de football professionnels.
[6] Les entités supervisées devront renforcer les mesures de Customer Due Diligence (CDD). Les informations à collecter sur les clients seront élargies, et des mesures de vigilance renforcées seront obligatoires pour toutes relations d’affaires avec des personnes fortunées (dont le patrimoine dépasse 50 millions d’euros), ainsi que pour les transactions, même occasionnelles, impliquant un pays tiers à haut risque.
[7] Une limite maximale de 10 000 euros est fixée pour les paiements en espèces dans l’UE.
[8] S’agissant de l’identification du ou des bénéficiaires effectifs, la définition et le seuil permettant de déterminer la participation au capital d’une entreprise restent inchangés mais il est précisé que toutes les participations, quel que soit leur niveau de propriété, doivent être prises en considération. Le règlement introduit également une obligation, pour les entités supervisées, de déclarer à l’entité chargée de la gestion du registre, dans les meilleurs délais, toute divergence constatée entre les informations disponibles dans le registre des bénéficiaires effectifs et les informations qu’elles sont tenues de recueillir.
[9] Les sanctions pourront s’élever jusqu’à un maximum de 10 % du chiffre d’affaires ou 10 millions d’euros, selon le montant le plus élevé.
[10] Procédure de déclaration électronique des soupçons de blanchiment d'argent pour les avocats via la plateforme ERMES, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 29, 18 juillet 2024, 616.