LFSS 2025 : allègements de charges, management packages… l’État resserre l’étau

Ecrit par

sebastien perrin Module
Sébastien Perrin

Senior Associate
France

Avocat doté d'une solide expérience de l'entreprise, je représente les clients de notre équipe Social devant les tribunaux français et les conseille dans tous les aspects des relations individuelles et collectives de travail.

Dans un contexte de déséquilibre persistant des finances publiques, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 opère un resserrement technique mais stratégique des paramètres socio-fiscaux applicables aux entreprises. Sans réforme d’ampleur, le texte modifie silencieusement mais profondément deux mécanismes centraux : les exonérations de cotisations sociales et la fiscalité applicable aux dispositifs d’intéressement de type management packages.

Derrière des ajustements qualifiés de « ciblés », c’est une recomposition des équilibres socio-économiques qui se joue. Il ne s’agit plus d’incitations : il s’agit de limites, d’exclusions, de requalifications. Un virage discret mais structurant, que les directions RH et fiscales ne pourront ignorer.

1. Réduction des allègements de cotisations sociales : un resserrement multidimensionnel

1.1 Réduction des seuils d’éligibilité : un coût immédiat pour les entreprises

Les trois principaux dispositifs d’allègement (Fillon, taux réduit maladie, taux réduit allocations familiales) sont désormais redimensionnés :

  • Réduction Fillon : le taux maximal d’exonération est abaissé de 2 points dès le Smic.

Impact estimé : 300 € par an/salarié au Smic (PME <50 salariés)

  • Cotisation maladie : seuil abaissé de 2,5 à 2,2 Smic.

Un salarié à 2,4 Smic coûte +3 114 € par an

  • Allocations familiales : seuil abaissé de 3,5 à 3,2 Smic.

+1 324 € annuels pour un salarié à 3,4 Smic

Ces variations, appliquées à des effectifs entiers, induisent un renchérissement net du coût du travail qualifié et risquent de peser sur les politiques de rémunération.

1.2 Augmentation de la contribution patronale sur les AGA

La contribution patronale applicable aux actions gratuites (AGA) est relevée (taux exact à fixer par décret), rompant avec la logique d’alignement capital-travail peu coûteuse. Le mécanisme, historiquement prisé dans la tech et la finance, devient sensiblement moins incitatif.

1.3 Apprentissage : réduction de l’exonération

La fraction de rémunération des apprentis exonérée de cotisations sociales est réduite, remettant en cause l’équilibre économique qui avait favorisé leur embauche. Les secteurs à forte tradition d’alternance (BTP, hôtellerie, artisanat) seront les plus exposés.

1.4 PPV : inclusion dans la base de calcul de la réduction Fillon

À compter du 10 octobre 2024, la Prime de partage de la valeur (PPV) entre dans le calcul de la réduction générale. Un salarié au Smic recevant une PPV de 885 € pourra faire franchir le seuil de 1,6 Smic et perdre 470 € d’allègements Fillon. Le mécanisme devient paradoxalement désincitatif.

1.5 DFS : exclusion du calcul de la réduction générale

Les déductions forfaitaires spécifiques (DFS) sont exclues rétroactivement du calcul de la réduction Fillon à compter du 1er janvier 2024. Une mesure à effet rétroactif qui expose de nombreuses entreprises (notamment dans le BTP) à des régularisations non anticipées.

1.6 Vers une réduction unique en 2026

À compter de 2026, les trois dispositifs seront fusionnés dans une réduction générale unique, avec plafond fixé à 3 Smic mais taux réduit de 2 points entre 1 et 1,3 Smic. Les taux réduits maladie et famille seront supprimés. Les organisations patronales évoquent un coût cumulé >5 Md€, supérieur aux estimations gouvernementales.

2. Management packages : requalification partielle, contribution sociale spécifique

Les gains issus de la cession de titres acquis via des management packages font l’objet d’une requalification partielle en traitements et salaires.

2.1 Une nouvelle distinction structurante

Deux catégories de gains sont désormais isolées :

  • Gain MEP – Salaires : assimilé à une contrepartie des fonctions de dirigeant ; imposé comme une rémunération classique (IR progressif + prélèvements sociaux).
  • Gain MEP – Plus-value : soumis à l’article 150-0 A du CGI si les deux conditions cumulatives sont remplies :
  • détention ≥ 2 ans (sauf AGA, BSPCE…) ;
  • risque de perte en capital réel et démontré.

Une formule algorithmique calcule la répartition entre les deux. Cette ventilation repose sur un multiple de performance confronté au prix d’entrée : plus le multiple est élevé, plus la part de plus-value est élevée.

2.2 Imposition immédiate et nouvelle contribution salariale

La part requalifiée en salaires est imposée immédiatement, y compris en cas d’apport ou de location. Le sursis d’imposition est exclu.

⚠️ Une contribution sociale spécifique de 10 % est créée, exclusivement due par le salarié sur cette fraction requalifiée. Aucun texte ne prévoit à ce stade de contribution patronale, mais le législateur pourrait l’instaurer dès 2026.

2.3 Fin de certaines stratégies d’optimisation

  • PEA : titres MEP inéligibles au PEA depuis la promulgation de la loi.
  • Donation : la donation n’efface pas la plus-value latente ; l’imposition est reportée mais due au nom du donateur l’année de la cession par le donataire.
  • Apport : imposition immédiate de la part requalifiée, sans sursis. Le solde (plus-value non requalifiée) peut bénéficier du report de l’article 150-0 B, dans les limites de la formule.

Conclusion : un paradigme de performance juridico-fiscale renouvelé

La LFSS 2025 n’est pas une réforme spectaculaire. Mais elle organise un recentrage : moins d’allègements, plus de contrôles, un encadrement algorithmique des dispositifs d’intéressement. Derrière le vernis technique, c’est bien un message de transformation qui est adressé : les entreprises devront justifier de la substance de leurs outils de fidélisation et de leur impact réel sur la valeur créée.

À retenir pour les directions juridiques et fiscales :

  • modéliser les effets de seuil dès la fixation des politiques salariales 2025-2026 ;
  • revoir les plans d’attribution d’AGA/BSPCE/BSA sous l’angle de la ventilation algorithmique ;
  • anticiper la traçabilité des flux, valeurs et fonctions dès l’entrée au capital ;
  • sécuriser les positions fiscales au regard des critères de détention, de risque, et de valorisation.

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Article rédigé en collaboration avec Fatine Khidach

 

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