Le nouveau régime marocain des conventions libres dans les sociétés anonymes : l’instauration d’une obligation d’information

Si la problématique des conflits d’intérêts transcende les différentes branches du droit, le droit des sociétés l’appréhende expressément à travers des dispositifs nombreux et variés.

Parmi les différents mécanismes utilisés par la loi n°17-95 relative aux sociétés anonymes, la procédure dite des conventions « réglementées », laquelle trouve son terrain d’élection dans les sociétés anonymes, constitue un moyen de lutte efficace contre les agissements d’un dirigeant ou d’un actionnaire qui chercherait à privilégier ses intérêts propres au détriment de ceux de la société. Le législateur avait créé, à cet effet, une distinction entre les conventions réglementées soumises à une procédure de contrôle particulière et les conventions courantes conclues à des conditions normales non soumises à un quelconque contrôle. Toutefois, le dispositif légal de lutte contre les conflits d’intérêts s’est avéré peu efficace en raison de la difficulté de qualification des conventions réglementées et des conventions courantes conclues à des conditions normales. En effet, les dirigeants ou actionnaires ne sont pas toujours en mesure d’identifier précisément les conventions réglementées et les conventions courantes et risquent par conséquent de soustraire certaines conventions génératrices de conflits d’intérêts à la procédure de contrôle des conventions réglementées.

La loi n°78-12 modifiant la loi 17-95 a donc, afin de renforcer la prévention des conflits d’intérêts, réformé le régime des conventions courantes mis en place précédemment. Concrètement, le législateur a imposé, une obligation d’information à la charge de l’intéressé (dirigeant ou actionnaire) à propos desdites conventions au bénéfice du président du conseil d’administration. Dans ce sens, l’article 57 de la loi n°78-12 prévoit que les conventions courantes conclues à des conditions normales, « sauf lorsqu’en raison de leur objet ou de leurs implications financières ne sont significatives pour aucune des parties, sont communiquées par l’intéressé au président du conseil d’administration. La liste comprenant l’objet et les conditions desdites conventions est communiquée par le président aux membres du conseil d’administration et ou aux commissaires aux comptes dans les soixante jours qui suivent la clôture de l’exercice ». Par ailleurs, au regard de l’article 141 de la nouvelle loi, la liste des conventions libres doit désormais être mise à la disposition des actionnaires 15 jours au moins avant l'assemblée générale ordinaire. Il convient de souligner que l’intervention de l’assemblée générale ordinaire diffère de celle prévue à l’article 58 de la loi n°78-12 pour les conventions réglementées qui organise l’approbation des conventions. En effet, pour les conventions courantes, il s’agit uniquement d’une simple mesure d’information permettant aux actionnaires d’avoir une meilleure visibilité juridique et comptable desdites conventions.

Si le nouveau régime des conventions courantes a le mérite d’apporter plus de transparence  dans le fonctionnement de la société et de permettre une meilleure information et protection des actionnaires, il demeure toutefois lacunaire.

Tout d’abord, l’absence de définition des notions d’« opérations courantes » et des « conditions normales » rend délicate la mise en œuvre de ce nouveau régime par le président du conseil d’administration, lequel devrait distinguer une opération courante de celle qui ne l’est pas et différencier les conditions normales de celles qui ne le sont pas puisqu’il est responsable de la diffusion de la liste de ces conventions aux administrateurs et aux commissaires aux comptes. Il paraît donc prudent de conseiller au président du conseil d’administration de contrôler lui-même les conventions qui lui sont communiquées et de saisir le conseil s’il a un doute sur une ou plusieurs d’entre elles. Cet examen permettra de les soumettre éventuellement à la procédure de contrôle des conventions réglementées et d’éviter la mise en cause de la responsabilité du président du conseil.

Par ailleurs, nous constatons que le législateur ne se prononce pas sur la présence de la liste des conventions ordinaires dans le rapport spécial annuel du commissaire aux comptes. Seule la publication du décret portant application de l’article 97 de la loi n°78-12 qui fixe le contenu du rapport spécial du commissaire aux comptes nous apportera des éclaircissements.

Le nouveau régime des conventions courantes répond en partie aux objectifs clés de la nouvelle loi n°78-12 que sont notamment la transparence, la communication et l’information. Toutefois, il est à craindre que ce nouveau régime ne puisse répondre à un autre objectif qui est celui de la simplification. En effet, l’exécution de l’obligation d’information et de communication prévues par le nouveau régime pourrait créer un alourdissement important du formalisme sociétaire compte tenu du nombre non négligeable des conventions conclues entre les dirigeants ou actionnaires et la société.

Pour davantage d’informations sur ces développements, n’hésitez pas à contacter : 

Hatim Boukhris

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