La régionalisation au Maroc: un progrès à consolider

Cet article est paru le 8 décembre 2016 dans le journal marocain L’Economiste.

Le Royaume du Maroc peut se prévaloir d'une longue tradition décentralisatrice, qui a été initiée dès le début des années 1960, par la création de communes autonomes. La reconnaissance, à des assemblées locales élues, d'un pouvoir de gestion des affaires locales, a ainsi été consacrée dès les premières années de l’indépendance, avant d'être approfondie et développée tout au long des décennies qui ont suivi, notamment en 1976, 1992, 2002 et 2009. Afin d’approfondir le processus de renforcement de la démocratie représentative régionale et de faire des régions un puissant instrument de développement économique, a été lancé, le 6 novembre 2008, un vaste chantier de régionalisation accrue du Royaume. À cette fin, a été installée, le 3 janvier 2010, une commission consultative sur la régionalisation, chargée de faire des propositions innovantes en la matière.


La nouvelle Constitution marocaine de juillet 2011 a entériné le processus de réforme territoriale, qui a conduit à l'adoption, par le Parlement, au printemps 2015, de trois lois organiques relatives aux collectivités territoriales, en particulier la loi n°111-14 qui intéresse plus spécifiquement les régions. Ces trois lois organiques forment aujourd'hui le socle de la régionalisation au Maroc. Elles en constituent les textes fondateurs. En dépit de l’incontestable progrès qu’elles portent, ces lois organiques continuent toutefois à soulever un certain nombre d'interrogations qui, en l’état actuel du droit positif, paraissent devoir appeler des réformes complémentaires.

Les lois organiques de 2015 réunissent d’abord, à l'analyse, l'ensemble des éléments permettant de caractériser une décentralisation aboutie.

Sur le plan institutionnel, les régions, créées en 1997, prennent d'abord une place à part entière, à côté des communes, créées en 1960, des préfectures et des provinces, créées respectivement en 1963 et 2002. Un décret du 20 février 2015 a ainsi procédé à un redécoupage régional, plus en adéquation avec les objectifs et les missions de la réforme. Plus vastes, les régions sont devenues de véritables entités fonctionnelles et économiques, auxquelles des moyens et compétences élargis ont été attribués.

Au-delà, le processus né de la réforme de 2015 marque un élargissement considérable des compétences et des conditions d'exercice de la démocratie locale, principalement de la démocratie régionale. Au chapitre des compétences, le principe de la libre-administration se traduit par la reconnaissance, au profit des régions, d'un ensemble de compétences articulées principalement autour de la promotion du développement économique, social, culturel et environnemental intégré et durable sur l'ensemble de leur territoire. La région est ainsi érigée en une collectivité économique, puissante et dynamique. Elle exerce, dans cet esprit, un certain nombre de compétences partagées avec l'État et, sur la base du principe de subsidiarité, peut se voir transférer des compétences relevant du cœur de ses missions: équipements et infrastructures à dimension régionale, industrie, culture, énergie, eau et environnement, etc.

La conjonction de ces compétences nouvelles et de l’affermissement des mécanismes institutionnels, portent la marque d’une démocratie décentralisée aboutie. Mais au-delà de ces progrès incontestables, les lois organiques de 2015 laissent subsister un certain nombre d'interrogations, auxquelles il convient d’apporter des réponses rapides. Qu'il nous soit permis, ici, d’en relever deux séries.

La première série d'interrogations est liée aux ressources dont peuvent bénéficier les régions pour exercer l'ensemble des compétences qui leur ont été transférées. Ainsi qu'a pu le relever récemment le Conseil économique, social et environnemental du Maroc, dans un avis récent, il est important que les régions puissent, parallèlement au transfert de compétences qui leur a été concédé, bénéficier de ressources suffisantes pour les exercer. Il ne faut pas, en effet, que le transfert de compétences de l'État aux régions se traduise, à court ou moyen terme, par un transfert massif de dette aux régions et, partant, par un endettement accru de ces dernières qui, mal maîtrisé, les empêcherait finalement d’agir. Il est donc important de faire émerger des ressources nouvelles et suffisamment dynamiques. L'autonomie fiscale des régions doit, dans cette perspective, pouvoir être explorée.

Par ailleurs, le transfert de compétences pose, par ricochet, la question de l’adaptation des instruments juridiques permettant leur exercice. On relèvera ainsi, à titre d'exemple, que si la compétence en matière de grands équipements et infrastructures à dimension régionale, ainsi que la compétence dans le domaine de l'énergie et de l'eau, peuvent, en application des lois de 2015, être transférées aux régions, la récente loi marocaine sur les partenariats public-privé n'autorise pas ces dernières à conclure, par exemple, un contrat de partenariat. Or, ce type de contrat est souvent un instrument optimal de réalisation de ces grands équipements, a fortiori dans un contexte budgétaire tendu. Il conviendra donc, à l'avenir, d'adapter toutes les lois qui, portant sur des instruments juridiques utiles à l’exercice, par les régions, de leurs compétences, pourraient freiner le dynamisme régional. Il est important, en effet, que la puissance du processus décentralisateur ne soit pas amoindrie par un corpus juridique inadapté.

 

Contrôle a posteriori

Au titre de la démocratie locale, les lois de 2015 consacrent le principe de la libre administration des régions et de l’exécution démocratique des délibérations de leurs conseils. Le vote public est ainsi érigé en principe pour toutes les décisions prises par les collectivités territoriales, notamment les régions. L’autonomie des régions se traduit encore par le fait que l’État n’exerce plus aucune tutelle politique ou administrative sur les collectivités territoriales. A une tutelle a priori se substitue ainsi un contrôle administratif a posteriori, limité de surcroît aux aspects relatifs à la légalité des décisions et des délibérations. In fine, le juge est seul appelé à connaître de la légalité des actes adoptés par ses collectivités territoriales.

 

Pour davantage d’informations sur ces développements, n’hésitez pas à contacter Sophie Pignon.

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