Fake News : les apports et enjeux de la proposition de loi

Le 13 mars dernier, les députés LREM ont approuvé la proposition de loi "Fake News" portée par le gouvernement. Le texte, composé d’une proposition de loi et d’une proposition de loi organique, a déjà fait l’objet d’une publication sur internet.

Projet controversé, que prévoit réellement cette loi et comment modifie-t-elle le régime juridique existant en matière de fausses nouvelles ?

Le contenu de la proposition de loi du gouvernement

La proposition de loi s’articule autour de deux axes principaux.

D’une part, elle étend le champ de l’article 6, I.-7 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, visant l'apologie des crimes contre l'humanité, l'incitation à la haine raciale et la pornographie enfantine, à la lutte contre les fausses informations.

Ainsi, les hébergeurs (en ce compris, donc, les plateformes type réseaux sociaux) et les fournisseurs d’accès Internet, devront appliquer aux fausses informations les mécanismes obligatoires suivants : (i) la mise en place d’un dispositif de signalement à destination des utilisateurs, (ii) l’information des autorités compétentes, et (iii) une communication informative sur les moyens qu’ils consacrent à cette lutte contre les fausses informations.

Dans un tel cas de figure, la responsabilité du signalement des contenus considérés comme de fausses informations reposera donc sur la responsabilité du public utilisateur et n’imposera pas d’obligation d’une quelconque appréciation de ces contenus par les hébergeurs. Par ailleurs, les mécanismes de signalement et de transfert d’informations aux autorités existant déjà, il s’agira simplement pour ces acteurs d’étendre ces procédures à un cas complémentaire.

D’autre part, la proposition de loi encadre spécifiquement les périodes électorale et pré-électorale. La proposition de loi organique étend d’ailleurs ces dispositions aux élections présidentielles. Pendant ces périodes, les plateformes, dont le trafic dépasse un certain seuil de connexions, devront délivrer une information transparente sur l’origine des contenus sponsorisés. Il sera également possible de saisir le juge des référés pour obtenir, sous 48 heures, toutes mesures utiles à limiter ou supprimer l’audience d’une fausse information. Ces mesures pourront comprendre notamment le déréférencement d’un site ou le retrait d’un contenu par l’hébergeur.

Les dispositions légales préexistantes en matière de fausses nouvelles

L’absence d’opportunité d’une loi dédiée aux "Fake News" a été très souvent soulevée, et ce en raison de la préexistence de dispositions légales réprimant déjà la diffusion, au sens large, de fausses nouvelles.

L’article 27 de la loi de 1881 prévoit notamment que "la publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler, sera punie d'une amende de 45.000 euros".

En outre, dans le cadre spécifique d’élections politiques, l’article L. 97 du Code électoral dispose que "ceux qui, à l'aide de fausses nouvelles, bruits calomnieux ou autres manœuvres frauduleuses, auront surpris ou détourné des suffrages, déterminé un ou plusieurs électeurs à s'abstenir de voter, seront punis d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 15.000 euros".

C’est d’ailleurs notamment sur le fondement de l’article L.97 du Code électoral que, lors des élections présidentielles de 2017, François Fillon avait porté plainte à l’encontre du journal Le Canard Enchaîné, à la suite de la publication de contenus rapportant des faits le concernant.

L’encadrement répressif du fait de diffusion de fausses informations fait ainsi, en effet, déjà partie du paysage législatif français.

La responsabilité des auteurs et relayeurs de fausses informations

Le Gouvernement a annoncé souhaiter responsabiliser les "plates-formes et les diffuseurs sur Internet". Le Premier ministre a d’ailleurs réitéré cette volonté généralisée lors de son discours du 19 mars dernier présentant le Plan national de lutte contre le racisme et l’antisémitisme.

À ce jour, les articles 42 et 43 de la loi du 29 juillet 1881 organisent le système de responsabilité en matière de délit de presse applicable à l’infraction de diffusion de fausse information, prévu par l’article 27 de la même loi.

Dans le cadre de cette chaîne de responsabilité en cascade, sont notamment désignés comme responsables, dans un premier temps, le directeur de la publication ou l’éditeur, puis, à titre subsidiaire, les auteurs, et enfin les vendeurs, distributeurs et afficheurs des supports relayant la fausse information.

L’article 93-3 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle pose ce même principe de responsabilité en cascade pour l’appliquer aux services de communication au public par voie électronique, incluant naturellement les sites Internet.

Il est néanmoins précisé que le directeur de la publication ne pourra être poursuivi comme auteur principal que si le contenu litigieux a fait l’objet d’une fixation préalable à sa communication au public, excluant ainsi tous les cas où les auteurs (utilisateurs) publient librement sur le site Internet en question. Dans cette hypothèse en effet, le directeur de la publication ne procède à aucune vérification (aucune "fixation") du contenu avant sa mise en ligne, de sorte que l’auteur devra être poursuivi à titre principal.

À cet égard, le principe de responsabilité des plateformes (Twitter, Facebook, Youtube, etc) est généralement celui de l’hébergeur, dans la mesure où elles ne procèdent pas au contrôle préalable des contenus mis en ligne par leurs utilisateurs. Ce régime, dit de responsabilité limitée, signifie qu’elles ne peuvent être tenues pour responsable de la diffusion d’un contenu illicite que si : (i) elles ont eu connaissance de ce caractère illicite de façon "manifeste" (selon la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004), et (ii) n’ont pas promptement agi, dès cette prise de connaissance, pour en permettre le retrait.

Les apports de la proposition de loi "Fake News"

Malgré les nombreux débats déclenchés par la simple annonce du projet de loi, la lecture du contenu de la proposition met en exergue l’absence de modification flagrante du cadre juridique existant.

La loi proposée ne met à la charge des intermédiaires techniques, diffusant les fausses informations, que des obligations de transparence et de coopération. Les motifs de la proposition de loi indiquent à ce titre que l’action en référé ne consiste pas à engager la responsabilité de ces intermédiaires techniques, mais bien à les faire agir en vue de limiter la propagation d’une fausse information. Leur responsabilité pourra en revanche être engagée s’ils ne se conformaient pas à l’injonction judiciaire leur étant adressée.

Concernant les auteurs de fausses nouvelles, ils devront toujours faire l’objet de poursuites sur le fondement principal de l’article 27 de la loi du 29 juillet 1881, la proposition de loi ne créant pas de nouveau fondement répréhensif à leur encontre.

Bien que des références explicites à la nouvelle législation allemande en la matière aient accompagné l’annonce du projet de loi, l’actuelle proposition de loi reste plus modérée. Le très controversé texte allemand impose aux hébergeurs comme Facebook ou Google de supprimer, sous 24 heures, les contenus signalés sous peine d’être sanctionnés par une amende pouvant aller jusqu’à 50 millions d’euros. S’agissant des fausses informations, la loi donne jusqu’à 7 jours aux acteurs visés pour agir, dans les cas où la complexité du contenu l’exigerait.

Le cadre juridique de responsabilité des plateformes reste à ce stade quasi-inchangé. La transformation de cette approche devra probablement passer par la redéfinition de ces acteurs et la reconnaissance de leur rôle actif dans la diffusion de tous contenus litigieux.

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