L’Union européenne au diapason de la restructuration ?

La Directive dite « Insolvency1 »  du Parlement européen et du Conseil de l'Union européenne a été publiée au Journal Officiel de l’Union européenne le 26 juin 2019. 

L’objectif premier de la Directive est d’harmoniser les législations et procédures nationales en matière de restructuration préventive et d'insolvabilité afin de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur et de lever les obstacles à la libre circulation des capitaux et la liberté d'établissement2

Plusieurs Etats membres manquent encore à l’appel de la transposition. C’est le cas notamment de l’Espagne, de l’Italie et des Pays-Bas3 qui devraient adopter les textes transposant la Directive d’ici le 17 juillet 2022. 

Parmi les bons élèves, l’Allemagne, qui a réformé son droit de l’insolvabilité par une loi du 29 décembre 2020 applicable dès le 1er janvier 2021, et la France, qui a opéré sa transposition par une ordonnance du 15 septembre 2021 applicable à compter du 1er octobre 2021.

Les deux pays ont adopté des textes couvrant tant les procédures préventives que les procédures d’insolvabilité. Les procédures préventives françaises, déjà largement conformes à la Directive, n’ont été que très marginalement modifiées. 

La transposition de la Directive sert-elle son objectif d’harmonisation ? L’Allemagne et la France sont-elles au diapason de la restructuration ?

Procédures préventives

Les droits allemand et français comportent tous deux une procédure destinée aux débiteurs solvables, ouverte exclusivement à leur initiative et qui permet une restructuration confidentielle4

Le droit allemand prévoit la possibilité pour le débiteur de rendre la procédure publique5, ce qui écartera en pratique toute tentative de recouvrement de la part des créanciers. Le droit français comporte une exception limitée qui tient à la publicité du jugement homologuant l’accord de conciliation, dévoilant ainsi l’existence de la procédure et de l’accord mais pas son contenu. 

En Allemagne comme en France, ces procédures n’emportent pas de suspension automatique des paiements. Le droit allemand permet au débiteur de solliciter du tribunal une suspension d’une durée maximum de huit mois à l’égard d’un ou plusieurs créanciers. Le débiteur français peut obtenir du tribunal une suspension pour la durée de la procédure (cinq mois maximum) à l’égard des créanciers réticents ou des délais de paiement pour une durée maximale de deux ans à l’égard des créanciers poursuivants. 

Elaboration des plans de restructuration

Le débiteur dispose toujours de la possibilité d’élaborer et soumettre un plan de restructuration, conformément à l’exigence posée par la Directive6

Les créanciers allemands affectés par le plan peuvent soumettre des propositions de modification du plan préparé par le débiteur tandis que les créanciers français peuvent proposer un plan de restructuration concurrent de celui préparé par le débiteur en redressement judiciaire. 

Constitution de classes de créanciers

La Directive requiert au minimum que les créanciers garantis et non garantis soient répartis en classes distinctes pour l'adoption du plan de restructuration7.

C’est cette exigence minimale qui a été retranscrite en droit français, étant précisé qu’une classe de détenteurs de capital doit être constituée s’ils sont affectés par le plan et que la répartition en classes doit respecter les accords de subordination. Le droit allemand prévoit la constitution d’au moins quatre classes pour les créanciers garantis, les créanciers non garantis, les créanciers subordonnés et les détenteurs de capital. 

De prime abord, ces deux dispositifs pourraient sembler très proches. En réalité, le droit allemand permet une systématisation des efforts des détenteurs de capital quand le droit français impose qu’ils soient affectés par le plan pour les assembler en classes. 

Ces deux régimes nationaux se distinguent également à deux égards.

D’abord, la constitution des classes relève du débiteur allemand quand elle est dévolue à l’administrateur judiciaire français. 

Surtout, le droit allemand prévoit que les parties liées au débiteur peuvent, selon la nature de leurs créances, automatiquement relever de la classe des créanciers subordonnés alors que le droit français n’a intégré aucune particularité à cet égard, en dépit de la recommandation de la Directive8.

Adoption des plans de restructuration

Allemands comme français, les créanciers sont impliqués dans l’adoption du plan. 

Par principe, pour qu’un plan allemand soit adopté, chaque classe de créanciers doit l’approuver à la majorité des trois quarts. En France, les classes de créanciers doivent chacune approuver le plan à la majorité des deux tiers9, sous réserve de la possibilité ouverte en redressement judiciaire de consulter individuellement les créanciers qui pourront alors se voir imposer des délais de paiement par le tribunal10.

Par exception et il s’agit d’une mesure phare de la Directive, le Tribunal allemand ou français peut arrêter un plan n’ayant été accepté que par une majorité de classes11.

En définitive, l’objectif d’harmonisation poursuivi par le Parlement européen et le Conseil semble rempli pour l’Allemagne et la France. Cela devrait permettre, une fois la transposition effectuée par l’intégralité des Etats membres12, de faciliter le travail des praticiens de l’insolvabilité et le traitement des faillites transfrontalières. 

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_________

1 - Directive (UE) 2019/1023 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 relative aux cadres de restructuration préventive, à la remise de dettes et aux déchéances, et aux mesures à prendre pour augmenter l'efficacité des procédures en matière de restructuration, d'insolvabilité et de remise de dettes, et modifiant la directive (UE) 2017/1132 (directive sur la restructuration et l'insolvabilité)
2 - Directive, considérant no1
3 - Les Pays-Bas ont déjà transposé partiellement la Directive par une loi entrée en vigueur le 1er janvier 2021
4 - Les développements concernent les procédures préventives modifiées par la loi dite « StaRUG » pour le droit allemand, et la procédure de conciliation pour le droit français.
5 - Effectif à compter du 1er juillet 2022.
6 - Directive, article 9.1. Les développements qui suivent concernent les procédures préventives modifiées par la loi dite « StaRUG » pour le droit allemand, et la procédure de sauvegarde et de redressement pour le droit français.
7 - Directive, art. 9.4
8 - Directive, considérant 46 « Les États membres devrait en tout état de cause veiller à ce que leur droit national prévoie un traitement adéquat des questions revêtant une importance particulière aux fins de la répartition en classes, comme les créances des parties liées (…) ».
9 - En droit français, la constitution des classes n’est obligatoire que pour les entreprises employant plus de 250 salariés et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 20 millions d’euros ou pour celles dont le chiffre d’affaires net est supérieur à 40 millions d’euros. 
10 - Cette possibilité existe également dans la procédure de sauvegarde sans constitution de classes.
11 - Dispositif dénommé « cross-class cram-down » dont la mise en œuvre est subordonnée à plusieurs conditions propres à chaque juridiction
12 - Directive, article 34 : « Les États membres adoptent et publient, au plus tard le 17 juillet 2021, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive (…) les États membres qui rencontrent des difficultés particulières dans la mise en œuvre de la présente directive peuvent bénéficier d'une prolongation d'un an au maximum du délai de mise en œuvre ».

 

 


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