COVID-19 et exécution des contrats : précisions importantes sur la période de gel des sanctions contractuelles

Pour rappel, l’article 4 de l’ordonnance 2020-306 du 25 mars 2020 a imposé un moratoire sur l’application de toute mesure de pénalité, astreinte, résolution ou déchéance consécutive au non-respect d’un délai contractuel pendant toute la période dite d’ « urgence sanitaire » décrétée par la loi n°2020-290 du 23 mars 2020, majorée d’un mois (la « période de moratoire »). Cette période est aujourd’hui fixée au 23 juin 2020. 

L’ordonnance n° 2020-427 publiée le 15 avril vient amender cet article 4 pour apporter certaines précisions essentielles relatives aux modalités de mise en oeuvre du moratoire. La version précédente n’indiquait, en effet, pas les règles applicables à la reprise du cours des sanctions à l’échéance de la période de gel. Sur la base du texte tel que précédemment rédigé, le créancier était donc en mesure de faire courir les pénalités ou astreintes voire d’exercer les voies de résolution dès le lendemain de l’expiration de la période de moratoire s’agissant des délais échus pendant ladite période. En outre, la version du 25 mars ne prenait pas en compte la question des sanctions afférentes aux échéances postérieures à la période de moratoire s’agissant des contrats conclus antérieurement ou au cours de cette période et dont l’exécution a été empêchée ou entravée par les mesures de restriction liées à l’urgence sanitaire. L’ordonnance modificative du 15 avril vient éclairer ces points tout en se prononçant sur le caractère impératif du mécanisme instauré durant la période de moratoire.

A quel moment les sanctions relatives aux délais échus pendant la période de moratoire commenceront-elles à courir ?

Il est précisé que les sanctions encourues sont reportées, à l’issue de la période  de moratoire « d’une durée, calculée après la fin de cette période, égale au temps écoulé entre, d'une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l'obligation est née et, d'autre part, la date à laquelle elle aurait dû être exécutée ».

En clair et comme spécifié dans le rapport au Président de la République : « si une échéance était attendue le 20 mars 2020, c'est-à-dire huit jours après le début de la période juridiquement protégée, la clause pénale sanctionnant le non-respect de cette échéance ne produira son effet, si l'obligation n'est toujours pas exécutée, que huit jours après la fin de la période juridiquement protégée. De même, si une clause résolutoire, résultant d'une obligation née le 1er avril devait prendre effet, en cas d'inexécution, le 15 avril, ce délai de 15 jours sera reporté à la fin de la période juridiquement protégée ».

La période de moratoire joue ainsi comme une période de suspension ou l’écoulement du temps est neutralisé pour le débiteur. Si l’ordonnance initiale ne prévoyait qu’un gel de l’application des sanctions, cette ordonnance modificative intervient donc sur les délais eux-mêmes.

Quid des délais expirant postérieurement à la période de moratoire ?

Cette suspension du temps contractuel s’étend également aux délais parvenant à échéance après la fin de la période de moratoire. Pour ces délais la date à laquelle les sanctions peuvent s’appliquer est « reportée d'une durée égale au temps écoulé entre, d'une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l'obligation est née et, d'autre part, la fin de cette période ».

Ceci signifie que si un accord conclu le 20 mars dernier prévoyait la livraison d’un équipement ou la finalisation d’une prestation au 1er juillet, cette obligation ne pourra être sanctionnée qu’à compter d’une durée équivalente au temps écoulé entre le 20 mars et la fin de la période de moratoire. Si cette dernière reste fixée au 23 juin 2020, le nouveau point de départ de l’application des sanctions serait ainsi le 26 septembre 2020. Il importe toutefois de spécifier que cette règle ne s’applique pas aux obligations de paiement somme d’argent lesquelles resteront exigibles et susceptibles de sanction à la date prévue.

Nul doute que la mise en œuvre de cette règle soulèvera de nombreux débats dans le cadre de déploiement de projets a fortiori concernant ceux, comme certains projets IT, dont l’exécution n’aura pas été strictement empêchée par les mesures d’urgence sanitaire.

Qu’en est-il des sanctions s’appliquant aux délais échus antérieurement au 12 mars 2020 ?

Le cours des astreintes et l'application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus pendant la période de moratoire. Bien que le texte ne le précise pas, il est logique d’estimer qu’à l’issue de cette période, l’application de ces astreintes et pénalités reprenne automatiquement. Il convient de noter que la résolution ou la déchéance ne sont pas mentionnées par l’alinéa concerné. En théorie, pour les obligations échues avant le 12 mars 2020, ces sanctions pourraient s’exercer. La question est particulièrement sensible pour les débiteurs mis en demeure avant le 12 mars 2020 de s’exécuter sous un certain délai sous peine de résolution dans la mesure où le délai imparti par la mise en demeure ne sera donc pas interrompu.

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Si l’ordonnance répond à certaines interrogations pratiques, il demeure ainsi certaines zones d’ombre sur les modalités d’application du moratoire et les conditions de reprise de sanctions qui ne manqueront pas de soulever des débats juridiques entre clients et fournisseurs. Ceci semble d’autant plus probable que le rapport au Président de la République prend l’initiative de préciser que « les parties au contrat restent libres d'écarter l'application de cet article par des clauses expresses notamment si elles décident de prendre en compte différemment l'impact de la crise sanitaire sur les conditions d'exécution du contrat. Elles peuvent également décider de renoncer à se prévaloir des dispositions de cet article ». L’annonce du caractère supplétif du régime décrit ne manque pas d’étonner. La finalité du texte nous semble, en effet, d’assurer la sécurité juridique des fournisseurs faisant face à des difficultés d’exécution du fait des mesures gouvernementales liées à l’état d’urgence sanitaire. Réintroduire la liberté contractuelle et la faculté de négocier les conséquences contractuelles de ces mesures nous semble jeter un doute sur l’effectivité du dispositif dont certains acheteurs dotés d’une puissance de marché pourraient s’affranchir en sollicitant de la part de leurs fournisseurs des renonciations expresses. Ceci est en outre susceptible d’ouvrir des discussions relatives à l’application de la notion de force majeure que l’ordonnance avait pour mérite de rendre inutiles.

Il est vrai, d’un autre côté, qu’une telle renonciation peut s’avérer nécessaire afin de permettre à certains clients d’obtenir l’assurance de livraisons essentielles à leurs activités dans les délais de rigueur.

En tout état de cause, cette indication émanant du Rapport au Président de la République ne constitue qu’un facteur d’interprétation et ne saurait lier les juges qui resteront libres de déterminer le caractère impératif du régime mis en place par l’ordonnance.

 

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