Restructuring Alert - Octobre 2016 - Actualités jurisprudentielles

La résistance du cautionnement face aux défaillances successives de l’emprunteur et du repreneur

Dans le cadre d’un redressement judiciaire, une banque, créancière au titre d’un crédit consenti avant l’ouverture de la procédure collective et garanti par un cautionnement solidaire d’une personne physique, déclare sa créance au passif du débiteur – échéances à échoir – et assigne la caution en exécution de son engagement. Quelques semaines plus tard, le Tribunal arrête un plan de cession prévoyant la reprise par le cessionnaire de l’encours du prêt – mensualités à échoir du prêt à compter de la cession –. Rien d’extravagant jusque-là, sinon que le cessionnaire est placé ultérieurement en redressement judiciaire puis en liquidation judiciaire.

Afin de résoudre le litige entre la caution et le créancier, la Cour d’appel de Toulouse limite l’obligation de paiement de la caution à la seule part de la créance échue antérieurement au plan de cession. Pour la part échue postérieurement, les juges du fond retiennent que le plan de cession a opéré transfert du contrat de prêt au profit du cessionnaire – celui-ci s’étant engagé à poursuivre le paiement des échéances – et qu’il y avait eu changement de débiteur, avec pour effet l’extinction du cautionnement pour les échéances échues postérieurement au plan.

L’arrêt d’appel est censuré par un arrêt du 9 février 2016 [i].

La Cour de cassation énonce effectivement que « le prêt consenti par un professionnel du crédit avant l’ouverture du redressement judiciaire de l’emprunteur n’est pas un contrat en cours au sens du premier de ces textes [article L. 622-13 du Code de commerce] et ne peut donc être cédé au titre des contrats visés au quatrième [article L. 642-7 du Code de commerce] ; que l’engagement pris par le cessionnaire de payer, après arrêté du plan de cession de l’emprunteur, les mensualités à échoir de ce prêt ne vaut pas, sauf accord exprès du prêteur, novation par substitution de débiteur, de sorte que la caution solidaire des engagements de l’emprunteur demeure tenue de garantir l’exécution de ce prêt ».

Arrêtons-nous sur cette motivation : la Cour d’appel a fait une application erronée de l’article L. 642-7 du Code de commerce à un contrat de prêt conclu avant l’ouverture de la procédure collective qui – conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation – ne peut être qualifié de contrat en cours [ii] au sens de l’article L. 622-13 du Code de commerce. Le prêt se présente comme un contrat à exécution instantanée qui, une fois la remise des fonds opérée, ne laisse plus place qu’à une dette de remboursement à la charge de l’emprunteur.

Quelles conséquences en tirer ? Le contrat de prêt n’étant pas un contrat en cours au jour de l’ouverture de la procédure collective, il ne pouvait être transféré au cessionnaire sur le fondement de l’article L. 642-7 du Code de commerce.

Ne pouvant s’analyser en un transfert de contrat, l’engagement du repreneur de rembourser les échéances du prêt à échoir postérieurement au jugement d’arrêté du plan de cession, ne constituait donc qu’un simple engagement unilatéral de payer la dette d’autrui qui, à défaut d’accord du créancier, ne pouvait libérer, ni l’emprunteur initial, ni sa caution.

C’est ainsi que la Chambre commerciale poursuit sa cassation sur le terrain du droit des obligations, soulignant que la Cour d’appel n’avait constaté aucun consentement du créancier à décharger son débiteur initial des échéances nées à compter du plan de cession et rappelant ainsi la règle énoncée par l’article 1273 du Code civil selon laquelle la novation ne se présume pas.

Faute de novation, le débiteur initial reste tenu et avec lui sa caution solidaire…pour le tout.

La solution est logique et devrait demeurer inchangée sous l’empire des textes issus de la réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations [iii].


[i]  Cass. com., 9 février 2016, pourvoi n°14-23.219, publié au Bulletin.

[ii] Cass. com., 13 avril 1999, pourvoi n°97-11.383.

[iii] L’article 3 de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 remplace l’article 1273 du Code civil par un nouvel article 1330 entré en vigueur le 1er octobre 2016 : « La novation ne se présume pas ; la volonté de l'opérer doit résulter clairement de l'acte ».

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Pouvoir modérateur du juge-commissaire sur la clause de majoration des intérêts

On notera également avec intérêt un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 5 avril 2016 ayant trait au pouvoir octroyé au juge de réduction d’une clause pénale manifestement excessive [i].

Si l’on avait tendance à oublier l’étendue des pouvoirs du juge-commissaire en matière d’admission d’une créance au passif, l’arrêt destiné à être publié au Bulletin constitue un rappel du mécanisme de révision des clauses pénales, sur fond de procédures collectives.

A nouveau, les faits étaient classiques : une banque avait consenti à une société deux prêts, l’un de 100.000 euros au taux de 4,70 % l’an (remboursable en 60 mensualités) et l’autre de 120.000 euros au taux de 3,40 % l’an (remboursable en 5 annuités). La société emprunteuse s’était portée caution envers la banque de trois autres prêts consentis à deux sociétés tierces.

Ces prêts comportaient une clause, intitulée « Retards », stipulant une majoration de 3 points du taux de base en cas d’échéance impayée, s’appliquant jusqu’à la reprise du paiement des échéances.

La société, emprunteuse et caution, ayant fait l’objet d’un redressement judiciaire, la banque a procédé à la déclaration de ses créances y compris des intérêts, se prévalant de l’exception à la règle de l’arrêt du cours des intérêts prévue par l’article L. 622-28 alinéa 1er du Code de commerce [ii]. Les montants déclarés, en ce compris les pénalités de retard, ont été contestés par la société débitrice.

La demande du débiteur est accueillie par le juge-commissaire qui réduit à un point de base les pénalités de retard. La banque interjette appel des ordonnances du juge-commissaire.

Déboutée par la Cour d’appel, la banque forme un pourvoi rejeté par la Cour de cassation aux motifs que : « la clause majorant le taux des intérêts contractuels en cas de défaillance de l’emprunteur s’analyse en une clause pénale que le juge-commissaire peut réduire, lors de l’admission au passif de la créance du prêteur, si elle est manifestement excessive », considérant ainsi que c’est dans le cadre de son pouvoir souverain que la Cour d’appel avait décidé du caractère manifestement excessif de la clause litigieuse.

L’arrêt réaffirme sans ambiguïté un principe déjà rappelé le 11 mai 2010 par la Cour régulatrice, à propos d’une clause de majoration des intérêts constituant une clause pénale qui « n’est pas contraire à la règle d’égalité des créanciers et que le juge-commissaire peut réduire, si elle est manifestement excessive » [iii].

Retenons que la solution n’est pas modifiée par l’entrée en vigueur de la réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations qui maintient les dispositions actuelles de l’article 1152 du Code civil (devenu l’article 1231-5 du Code civil).

On relèvera, en dernier lieu, la singularité du contrôle opéré par la Haute Juridiction de la mise en œuvre de ce pouvoir modérateur par le juge-commissaire [iv].

Tout en laissant aux juges du fond un pouvoir souverain dans l’appréciation du caractère excessif de la clause pénale, la Cour régulatrice relève ainsi que « l’arrêt [de la Cour d’appel] retient que l’augmentation de taux, de l’ordre de 75 %, voire 100 %, par rapport à un taux conventionnel de base, excède notablement le coût de refinancement de la banque et qu’elle est sans commune mesure avec le préjudice résultant pour elle du retard de paiement ».

C’est donc la disproportion manifeste entre l’importance du préjudice effectivement subi et le montant de la majoration conventionnellement fixée qui a conduit la Cour d’appel à confirmer la décision du juge-commissaire de réduire – de trois à un point – la pénalité convenue, raisonnement que la Cour de cassation ne contredit pas.

On gardera ce point à l’esprit lorsqu’il s’agira de défendre aux contestations du débiteur.


[i] Cass. com. 5 avril 2016, pourvoi n°14-20.169, publié au Bulletin.

[ii] L’article L. 622- 28 al. 1er du Code de commerce prévoit une exception à la règle de l’arrêt du cours des intérêts pour les prêts d’une durée supérieure à un an, et vise tous les intérêts, y compris les intérêts de retard prévus contractuellement (pour un rappel de cette solution : Cass. com. 2 juillet 2013, pourvoi n°12-22.284).

[iii] Cass. com. 11 mai 2010, pourvoi n° 09-13.106, non publié au Bulletin. Cette solution aujourd’hui acquise, avait pendant un temps été considérée comme contraire au principe d’égalité entre les créanciers.

[iv]   P. Pétel, JCP G n° 36, 8 septembre 2016, 1465.


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