Convention-Cadre et Cession Dailly : actualité jurisprudentielle

1. Cass. Com., 19 mai 2015, pourvoi n° 14-11215   

On a tendance à retenir, un peu vite, qu’échappent à la nullité des périodes suspectes les paiements qui, bien qu’intervenus après la date de cessation des paiements du débiteur, ont été réalisés selon des modalités arrêtées antérieurement à cette situation, notamment à l’occasion de la conclusion d’un contrat-cadre.

L’exemple topique en la matière est celui de la délégation de paiement. Celle-ci est traditionnellement envisagée comme un mode anormal de paiement, frappée de nullité lorsqu’elle intervient au cours de la période suspecte[i]. Elle échappe pourtant à la nullité de l’article L. 632-1 du Code de commerce, lorsque le principe de la délégation a été arrêté par les parties avant la cessation des paiements, peu important la date de son exécution effective[ii].

De là à retenir que la conclusion d’une convention-cadre, fixant les modalités de règlement des créances à venir, prémunit du risque de nullité automatique des paiements intervenus pendant la période suspecte, il n’y avait donc qu’un pas que la Cour de cassation, dans un arrêt récent du 19 mai 2015[iii], invite justement à ne pas franchir.

Des faits à l’origine de l’arrêt, on ne retiendra que les points suivants : une entreprise de pêche finance l’acquisition d’un navire par un prêt bancaire garanti par une hypothèque maritime. L’entrepreneur – personne physique – demande à bénéficier de l’aide à l’arrêt définitif de l’activité de pêche prévue à l’article 23 du règlement CE 1198/2006 du 27 juillet 2006 relatif au « fonds européen pour la pêche » (le FEP). Conformément aux dispositions du règlement, il opte pour la destruction du navire afin de percevoir cette aide par le FEP, destruction qu’il réalise après avoir sollicité et obtenu du banquier prêteur la mainlevée de l’hypothèque. En contrepartie, le banquier se voit, pour sa part, céder par voie Dailly et à titre de paiement du solde de sa créance de prêt, la créance sur le FEP.

Rien d’extravagant aurait-on pu conclure, sinon que l’entreprise de pêche est placée ultérieurement en liquidation judiciaire. Or, il apparaît rétrospectivement que la cession de créance est intervenue au cours de la période suspecte. Le liquidateur judiciaire entreprend donc de la critiquer.

On sait à quel point ce type d’action en annulation des paiements peut s’avérer redoutable. La Cour de cassation a effectivement jugé, il y a maintenant plusieurs années, « que la créance résultant d’une obligation de rembourser le prêt à la suite de l’annulation, en application de [l’article L. 632-1 du Code de commerce], d’un paiement effectué avant le jugement d’ouverture a son origine antérieurement à ce jugement et doit être déclarée à la procédure collective »[iv].

Dit autrement, c’est une double peine qui attend le prêteur dans l’hypothèse d’un succès de l’action en annulation : non seulement, le paiement querellé est annulé et il doit donc être restitué à la procédure collective. Mais l’annulation du paiement fait rétroactivement renaître la créance de prêt, que le créancier n’aura, par hypothèse, jamais déclarée au passif du débiteur, et qui sera donc réputée inopposable à la procédure collective.

On imagine donc sans mal quelle a été en l’espèce la réaction du banquier prêteur lorsque la Cour d’appel a prononcé la nullité de la cession de créance sur le FEP, la banque perdant à la fois son paiement et sa créance de prêt. Le prêteur forme un pourvoi en cassation aux termes duquel il est, en particulier, fait grief à l’arrêt d’avoir déclaré nulle la cession Dailly alors qu’« est valable la cession de créance intervenue au cours de la période suspecte en exécution d’une convention cadre antérieurement conclue ».

Le moyen renvoyait, semble-t-il, à une jurisprudence acquise de la Cour de cassation. Il est cependant rejeté par la Chambre commerciale en ces termes : « est nulle la cession de créance intervenue au cours de la période suspecte, fût-elle consentie en exécution d’une convention cadre signée antérieurement à la date de cessation des paiements, dès lors qu’elle a pour objet d’éteindre une dette non échue »[v].

S’agit-il, comme certains auteurs ont pu s’interroger[vi], d’un revirement de jurisprudence ? On peut en douter. La cession Dailly est expressément mentionnée par l’article L. 632-1-4° du Code de commerce parmi les modes habituels de paiement. Il n’en demeure pas moins que l’existence d’une telle convention ne saurait éluder l’une des autres hypothèses de nullité automatique du paiement intervenu en période suspecte, cette fois visée par l’article L. 632-1-3° du Code de commerce, tenant au paiement « pour dettes non échues au jour du paiement », cela « quel qu’en ait été le mode ».

Or, ainsi que le relève encore la Cour de cassation, à défaut de déchéance du terme ou de demande préalable d’un paiement anticipé justifié par la destruction de l’actif financé, le paiement litigieux devait bien s’analyser en un paiement d’une dette non échue, peu important qu’il fût réalisé en contrepartie de la levée de l’hypothèque maritime.

La solution mérite assurément d’être gardée à l’esprit, d’autant que l’on ne saurait utilement tenter d’opérer une distinction entre cession Dailly intervenue à titre de paiement et cession opérée à titre de garantie. Certes, dans ce dernier domaine, la Cour de cassation a encore très récemment retenu que les sommes perçues du débiteur cédé par le banquier cessionnaire antérieurement à l’ouverture de la procédure collective n’éteignaient pas la créance garantie, en sorte qu’il ne s’agit pas à proprement parler d’un paiement[vii]. Pour autant, consentir en période suspecte une cession de créance Dailly pour couvrir une dette passée, fût-ce à titre seulement de garantie, demeurerait critiquable, cette fois sous le visa de l’article L. 632-1-6° du Code de commerce qui frappe notamment de nullité tout nantissement consenti en sûreté d’une dette antérieurement contractée.

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2. Cass. Com., 19 mai 2015, pourvoi n° 14-12872

C’est encore de contrat-cadre et de cession Dailly dont il est question dans un arrêt également daté du 19 mai 2015[viii] rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation. Si cette décision, non publiée, n’a pas été gratifiée du même nombre de commentaires que la précédente, elle n’en reste pas moins digne d’intérêt. L’affaire concernait là encore une problématique de paiement, intervenu non au cours de la période suspecte, mais cette fois pendant la période d’observation.

En l’espèce, une convention-cadre de cession de créances Dailly prévoyait que des retenues de garantie prélevées par la banque seraient versées à titre de gage-espèces sur un compte distinct du compte courant de la société débitrice. Celle-ci est mise en liquidation judiciaire et le liquidateur réclame à la banque la restitution de l’ensemble des sommes retenues à titre de garantie. Le banquier s’y oppose au vu de ses propres créances contre la société débitrice.

Ne pouvant rattacher la compensation ainsi opérée à la notion de connexité (les créances en cause ne dérivant pas d’un même contrat, ni d’un ensemble contractuel unique servant de cadre général aux relations entre les parties[ix]), la Cour d’appel (il s’agissait de la Cour d’Aix-en-Provence) rejette néanmoins la demande du liquidateur à l’issue d’une motivation qui mérite d’être rappelée : « […] la compensation ne trouve dès lors pas sa source dans la connexité des créances mais dans les dispositions contractuelles. […] le principe d’égalité des créanciers n’est pas absolu et cède dans un certain nombre de cas à des mécanismes qui confortent soit la foi due aux sûretés soit la pérennité de l’entreprise laquelle constitue aussi un objectif essentiel du droit des procédures collectives. [Qu]’en l’espèce, le mécanisme de cession de créance DAILLY participe de façon importante à la trésorerie des entreprises et partant à la prévention de leurs difficultés. Il n’est donc pas contraire au droit des procédures collectives d’admettre la compensation, non en raison de la connexité des créances, mais de la stipulation contractuelle d’un gage espèce garantissant tous les engagements de la banque »[x] (mis en gras par nos soins).

C’est, en définitive, toute la problématique liée à la qualification juridique du gage-espèces que l’on retrouve résumée à travers cette motivation.

On sait qu’il y a un peu plus de 20 ans, la Cour de cassation a tranché en faveur du transfert de propriété des sommes remises en garantie au bénéficiaire « en raison de leur nature fongible »[xi], faisant du gage-espèces une authentique fiducie innommée[xii]. S’intéressant au dénouement de l’opération, elle a confirmé l’analyse des juges du fond l’envisageant comme une forme de compensation légale[xiii], malgré les critiques les plus avisées du Professeur Larroumet[xiv].

Mais si la Cour de cassation avait eu à connaître d’une telle question dans des hypothèses où elle constatait l’existence d’une compensation intervenue avant l’ouverture de la procédure collective[xv],  elle n’avait pas encore statué sur la question de la compensation opérée, comme en l’espèce, post-procédure collective, domaine dans lequel la qualification juridique du dénouement du gage-espèces devient absolument centrale. En ce domaine, les décisions des juges du fond étaient à la fois rares et contradictoires[xvi], d’où l’intérêt évident de cette décision rendue par la Chambre commerciale.

Revenons-en à l’affaire. De façon parfaitement logique, le demandeur au pourvoi a fait grief à l’arrêt d’appel d’avoir violé par fausse application les articles L. 622-7, I et L. 641-3 du Code de commerce, ensemble l’article 1289 du Code civil, « en retenant que la compensation devait s’opérer en tant qu’elle ne trouvait pas sa source dans la connexité des créances mais dans les dispositions contractuelles convenues entre les parties ». C’était là un grief des plus cohérents, la compensation étant prohibée par la loi, hors le cas de connexité, précisément écarté par la Cour d’appel. Si l’on suit le pourvoi, en instituant un autre cas autorisé de compensation, la Cour d’appel a ajouté à la liste limitative des cas de paiements admis post-procédure collective et s’est faite  législateur : à défaut de dispositions dérogatoires, l’arrêt d’appel aurait dû faire droit à la demande de remboursement du liquidateur.  

 L’argument n’est pas dépourvu de cohérence. Il sera cependant rejeté par la Cour régulatrice  : « attendu qu’après avoir constaté que l’article 3 de la convention-cadre de cession de créances professionnelles prévoyait que les retenues de garantie prélevées par la banque seraient versées à titre de gage-espèces sur un compte distinct du compte courant de la société, c’est à bon droit que la cour d’appel a rejeté la demande du liquidateur ».

La motivation de l’arrêt est remarquable à plus d’un titre. Peut-être, d’abord, parce que bien qu’il s’agisse d’un arrêt de rejet, la Cour de cassation prend ici soin de souligner qu’elle a exercé sur la question son plein contrôle (« c’est à bon droit que la cour d’appel a rejeté »)[xvii].

Mais ce n’est pas tout. En effet, si la Chambre commerciale rejette le pourvoi, elle n’embrasse pour autant pas la motivation de l’arrêt d’appel. Sans doute, la démarche de la Cour régulatrice est-elle subtile, mais il est singulier de relever qu’elle prend précisément soin de ne pas qualifier le dénouement du gage-espèces de compensation conventionnelle, comme l’a retenu l’arrêt d’appel, certainement parce que cela l’aurait conduit à reconnaître un cas de compensation post-redressement judiciaire en dehors de toute hypothèse de connexité et donc, contra legem.

Le dénouement du gage-espèces est ainsi consacré, per se, sans qu’il soit nécessaire de le rattacher à la compensation. Quid, alors, du fondement juridique permettant au banquier bénéficiaire de s’approprier définitivement les sommes gagées nonobstant la procédure collective ? On redoublera d’autant plus aisément de prudence que la Cour de cassation n’a pas souhaité donner à cette décision toute la publicité qu’elle pouvait justifier.

Pour autant, en prenant le soin de souligner que le versement des sommes litigieuses, parce qu’il intervenait à titre de gage-espèces,  suffisait à justifier le rejet de la demande du liquidateur, la Cour de cassation n’a-t-elle pas entendu remettre au premier plan la nature intrinsèque de cette sûreté  ? L’attribution définitive des espèces au banquier bénéficiaire trouverait ainsi sa cause dans la nature même du gage-espèces, celle de fiducie sûreté dont la mise en œuvre implique la conservation des espèces au profit du banquier bénéficiaire.

L’arrêt présenterait alors un intérêt second tout aussi remarquable que le premier. Car si la Cour régulatrice consacre la validité de l’appropriation de l’actif fiduciaire dans cette fiducie innommée qu’est le gage-espèces post-procédure collective, cela confirme, a fortiori, la validité d’un tel dénouement pour les fiducies nommées, ce qui n’était reconnu qu’en creux par l’article L. 622-23-1 du Code de commerce, réserve faite de l’actif fiduciaire laissé à la disposition du débiteur.




[i]  B. Soinne, Traité des procédures collectives, 2e édition, n°1832 ; P.-M Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action 2015-2016 n°823.23.

[ii]  Cass. Com., 4 octobre 2005, Bull. IV, n°198.

[iii]  Cass. Com., 19 mai 2015, pourvoi n° 14-11215, à paraître au bulletin.

[iv]  Cass. Com., 30 octobre 2000, pourvoi n° 97-21077, Bull. IV n°171.

[v]  Mis en gras par nos soins.

[vi]  C. Lisanti, Bull. Joly Entreprises en difficulté, 11/2015, n° 112v3, note sous Cass. Com., 19 mai 2015.

[vii]  Cass. Com., 30 juin 2015, pourvoi n° 14-13.784, à paraître au Bulletin. Ainsi, selon la Cour de cassation, « lorsque la cession de créances professionnelles par bordereau est consentie à titre de garantie, les règlements effectués avant l’ouverture de la procédure collective du cédant par le débiteur cédé entre les mains du cessionnaire restent acquis à ce dernier tant que les créances garanties par cette cession ne sont pas payées, l’excédent éventuel n’étant restitué qu’après ce paiement, la cour d’appel a violé le texte susvisé ». C’est pourquoi, doit être censuré l’arrêt d’appel qui, pour fixer le montant des créances de la banque dont il prononce l’admission, déduit l’ensemble des règlements effectués par les débiteurs cédés au banquier cessionnaire.

[viii]  Cass. Com., 19 mai 2015, pourvoi n° 14-12872, non publié au bulletin.

[ix]  V. Cass. Com., 5 avril 1994, pourvoi n° 92-13989, Bull. IV n° 142.

[x]  CA Aix-en Provence, 5 décembre 2013, RG n°12/15382.

[xi]  Cass. Com., 17 mai 1994, pourvoi n° 91-20083, Bull. IV n 178.

[xii]  V.  par exemple, M. Cabrillac, les sûretés conventionnelles sur l’argent, Mélanges Derruppé, p. 333, spéc. n°27 ; C. Larroumet, D. 1995, note sous Cass. Com., 17 mai 1994, p. 124.

[xiii] Cass. Com., 3 juin 1997, pourvoi n° 95-13365, Bull. IV n 165.

[xiv] V. notamment, C. Larroumet, D. 1995, p. 124.

[xv] Idem.

[xvi] En faveur de l’admission de la compensation : CA Reims, 5 avril 2006, Banque et droit, n° 115, septembre-octobre 2007, obs. J.-L. Guillot ; Rejetant le principe de la compensation, CA Amiens, 24 novembre 2011, n° 10/04375, inédit.

[xvii] V. X. Bachellier M.-N. Jobard-Bachellier, La technique de cassation ; pourvois et arrêts en matière civile, Dalloz, 7e édition, spéc. p. 64.

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