Les autorités de concurrence françaises et allemandes publient une étude conjointe sur les données et le droit de la concurrence

Cette étude conjointe sur les données et le droit de la concurrence, publiée le 10 mai 2016, offre un aperçu utile de la manière dont deux des autorités de concurrence les plus actives en Europe pourraient aborder la question des données. Tout en étant rédigée en des termes relativement larges, cette étude examine dans quelle mesure la détention de données peut conférer un pouvoir de marché, quels comportements liés aux données pourraient se révéler anticoncurrentiels, et quelles sont les interactions entre les règles en matière de droit de la concurrence et celles en matière de protection des données personnelles.


Contexte

Cette étude  est l'aboutissement d’une initiative lancée en octobre dernier par l'Autorité de la concurrence et son homologue allemand, le Bundeskartellamt, visant à analyser conjointement les éventuelles questions de droit de la concurrence soulevées par l'utilisation croissante des données dans l'économie actuelle.

L’utilisation des données à l’ère du "big data" est en effet devenue un sujet de préoccupation majeur pour les autorités de concurrence. Ainsi, peu avant la publication de cette étude conjointe, le Bundeskartellamt a ouvert une procédure d'enquête à l’encontre de Facebook visant à déterminer si les conditions générales d'utilisation des données qu’elle impose aux utilisateurs de son site sont susceptibles de constituer un abus de son éventuelle position dominante sur le marché des réseaux sociaux. L'Autorité de la concurrence, quant à elle, a annoncé à l'occasion de la publication de cette étude qu'elle allait lancer une enquête sectorielle approfondie sur les données, les stratégies commerciales et la concurrence dans l'économie numérique. L'autorité britannique de concurrence (Competition and Markets Authority) a également publié en 2015 une étude sur l'utilisation commerciale des données des consommateurs.

Dans ce contexte, la présente étude offre une vue d’ensemble des problèmes de concurrence soulevés par l'utilisation des données et propose un état des lieux des débats en cours sur le sujet. Dans cette étude, les deux autorités vont au-delà du simple constat de l'importance croissante de la collecte de données – y compris de données personnelles – dans l'économie moderne. Elles examinent également:

  • la manière dont la collecte, le traitement et l'utilisation de données pourraient conférer un pouvoir de marché ;
  • les différents types de comportements potentiellement anticoncurrentiels en matière d’utilisation des données ;
  • et dans quelle mesure l'application des règles de protection des données personnelles fait obstacle à l'application parallèle des règles de concurrence.

Données et pouvoir de marché

L'étude part du postulat que l'accumulation de données n'est susceptible de soulever des problèmes de concurrence que si elle confère un pouvoir de marché à l'entreprise qui les détient. Si l’étude reconnaît que la question des avantages conférés par les données (« data advantage ») n'est pas limitée aux sociétés comme Google ou Facebook, elle note que le problème est particulièrement prégnant dans le secteur de l’économie numérique qui a recours à la collecte et à l'utilisation massives de données, notamment de données personnelles.

L’étude souligne que le risque d’émergence d’un pouvoir de marché dépend de :

  • La disponibilité des données : l'étude envisage un argument bien connu selon lequel les données "sont partout" et sont substituables (les données étant des "biens non-rivaux", l'accès à ces dernières par un opérateur n’empêche pas d'autres opérateurs d'y avoir également accès). Mais l’étude relève que certaines données peuvent ne pas toujours être disponibles sur le marché, et ce, malgré le développement de l’activité de vente de données par des « data brokers ». En effet, des entreprises ayant accès à des données très spécifiques peuvent se montrer réticentes à en faire profiter leurs concurrents. L’étude évoque également la question de la substituabilité des données et souligne les différences pouvant exister entre catégories de données (entre données mobiles et données statiques, données liées aux recherches sur Internet et données liées aux comportements sur les réseaux sociaux, etc.).
  • La taille des bases de données susceptibles de conférer un pouvoir de marché : l'étude indique que le volume pertinent dépend du type de données et de leur usage. Par exemple, un opérateur peut avoir intérêt à collecter autant de données socio-démographiques (âge, nom, adresse, etc.) que possible, alors qu’il n’aura plus nécessairement intérêt à collecter des données à des fins d’analyse prédictive (par exemple pour alimenter les algorithmes de moteurs de recherche) une fois qu’il aura rassemblé un ensemble de données présentant une pertinence statistique suffisante.

Les comportements anti-concurrentiels liés aux données

En dehors du volet contrôle des concentrations, l’étude identifie deux types de pratiques potentiellement problématiques du point de vue du droit de la concurrence : les pratiques d'éviction et les pratiques de discrimination par les prix. Pour ce qui est des pratiques d'éviction, l’étude indique que la concurrence pourrait être affectée ou éliminée par des entreprises refusant l’accès à des données. Ces pratiques d'éviction peuvent consister en :

  • un refus de donner accès à des données indispensables (ces données constituant une "facilité essentielle") ;
  • un accès discriminatoire aux données ;
  • la conclusion de contrats exclusifs avec les utilisateurs ; ou
  • des ventes liées et une utilisation croisée d'ensembles de données.

L’étude indique également que les données peuvent faciliter la discrimination par les prix, dans la mesure où les entreprises utilisent les données pour déterminer la disposition à payer des clients en fonction de leur pouvoir d’achat ou de leurs habitudes de consommation. L'étude s’interroge cependant sur la question de savoir si la discrimination par les prix est nécessairement problématique et, surtout, s'il s'agit d'un problème relevant du droit de la concurrence si cette discrimination est limitée aux ventes aux consommateurs.


Droit de la concurrence et protection des données personnelles

L’étude aborde également la question de l'interaction entre les règles en matière de protection des données personnelles et les règles de droit de la concurrence et considère que l'existence de mécanismes spécifiques de protection des données personnelles ne prive pas le droit de la concurrence de sa pertinence. L'étude estime que les autorités de concurrence sont compétentes pour analyser les politiques de confidentialité sous l'angle du droit de la concurrence chaque fois que ces politiques sont susceptibles de porter atteinte à la concurrence.


Et maintenant ?

Si l’étude fournit un bon panorama des problématiques de concurrence liées aux données, elle n’offre que relativement peu de recommandations pratiques aux opérateurs. Elle est, par ailleurs, rédigée en des termes suffisamment larges pour ne pas entamer la marge de discrétion dont pourront bénéficier les autorités françaises et allemandes dans leurs enquêtes en cours ou à venir sur d’éventuelles préoccupations de concurrence soulevées par l’utilisation de données. Cette étude atteste en tout état de cause que les autorités de concurrence s’intéressent de près à la question du big data et s’efforcent d’adapter leurs politiques à l’évolution de la nouvelle économie. Les entreprises seraient à leur tour bien avisées de suivre attentivement les développements juridiques à venir sur le sujet, en particulier le résultat de l'enquête en cours contre Facebook en Allemagne et de l'enquête sectorielle en France

Points de vue

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